Qu’Emile Zola ne m’en veuille pas d’avoir usurpé son fameux titre, mais je sais qu’il me pardonnera car c’est pour la bonne cause.
Il y a quelques années, en compagnie de plusieurs amis, nous gambadions à longueur de journées dans les espaces verts de Tanger. Nous passions des heures heureuses à courir entre les arbres, à bondir sur les ruisseaux et à se bronzer sur l’herbe. Et puis vinrent les années 80 et avec elles les barons de la drogue qui avaient élu domicile à Tanger et qui cherchaient à blanchir leur argent sale, aidés en cela par certains ripoux de l’autorité publique. Ces nouveaux riches qui ne savaient même pas épeler leurs noms, se ruèrent sur l’immobilier et achetèrent du jour au lendemain les meilleurs endroits de Tanger. Et comme l’appétit vient en mangeant, et comme les terrains se réduisaient de plus en plus, ils attaquèrent les forêts, les baies et les espaces verts, obtenant les autorisations de construire et les dérogations de faire ce qu’ils voulaient comme on obtient un acte de naissance. Et ainsi disparurent en un clin d’oeil, les forêts de Moulay Abdellah, de Ben Dibane, de Sania, de Haouarra, de R »milat, de Mediouna, de Rahrah, de M’nar, et j’en passe, et récemment la forêt diplomatique, sur la route d’Assilah, a été partagée entre les charognes du Golfe qui y construisent des projets touristiques (en arrêt depuis la crise mondiale), et les vautours nationaux incarnés par la mafia de l’habitat économique qui, elle, arnaque et vole tellement les bougnouls qu’aucune crise, qu’elle soit mondiale, universelle ou cosmique ne peut l’atteindre, tellement elle engorge les milliards en proposant des boites de sardines à 250 000 dirhams.
Comme les forêts et les baies s’amenuisent à vue d’oeil, la mafia de l’immobilier s’attaque depuis quelques années déjà au patrimoine national classé. Leur méthode est aussi vieille que le monde. Avec l’aide des autorités, on laisse pourrir la situation, on permet aux chemkaras, aux « voyous », aux « coupeurs de route », aux tueurs et aux violeurs de squatter les lieux; on ameute ensuite les « âmes sensibles » en criant à l’insécurité et on propose, pour remédier à la situation, de vendre ou de céder les terrains pour que les « archanges bienfaiteurs » de l’immobilier nous construisent la cité des anges. Et en trois-quatre de tours, le miracle a lieu et les sites historiques et les espaces verts se convertissent en projets touristiques sur la maquette et en immeubles monstrueux et inhospitaliers dans la réalité.
C’est le cas de la villa Harris. Un lieu de mémoire pour les Tangérois et pour le Maroc. Un lieu de plusieurs hectares qui fait saliver la mafia de l’immobilier depuis longtemps, un lieu historique qui a été classé patrimoine national vue son importance historique. Mais rien ne peut barrer la route à la mafia. Lorsqu’elle lorgne sur un espace, elle finit toujours par l’obtenir, le bakchich étant là pour ouvrir toutes les portes et amadouer tous les récalcitrants. Et le pire c’est que cette mafia gagne toujours.
La villa Harris vient donc d’être déclassée pour y implanter un projet touristique. La belle affaire ! Comme si tous les projets touristiques n’étaient pas en panne depuis 2008, comme si les hôtels de Tanger affichaient plein, comme si les touristes se bousculaient à nos portes. De qui se moque-t-on ?
Voilà pourquoi j’accuse; oui j’accuse.
J’accuse le maire de Tanger d’avoir fermé les yeux sur la destruction programmée de la villa Harris.
J’accuse le wali de Tanger d’avoir soutenu les projets de la mafia de l’immobilier, et d’avoir demandé le déclassement de la villa Harris.
J’accuse le ministre de la culture d’avoir signé le déclassement, lui qui se prétend philosophe; mon oeil !!!!
J’accuse les ministres de tutelle de contribuer aux massacres des espaces verts et de jouer à la politique de l’autruche.
J’accuse le premier ministre de continuer à somnoler dans son coin et de participer en spectateur à l’hécatombe du patrimoine national.
J’accuse tous les responsables d’être les violeurs de Tanger, de Casa, de Fès, de Oujda, de Marrakech, de toutes les villes marocaines et de les convertir en un chantier de fer et de béton armé.
Assez ! Basta ! Y’en a marre, marre, marre ! Il faut agir !
Je propose qu’on organise une chaîne humaine le plus tôt possible autour de la villa Harris et de crier haut et fort : « No pasaran ! No pasaran ! »
Mokhtar Chaoui
Enseignant-chercheur et écrivain.